Sacre : Le Sénégal à l’honneur à la prestigieuse Université de Harvard (USA)

Sacre : Le Sénégal à l’honneur à la prestigieuse Université de Harvard (USA)

Etudes

L’actualité académique du mois de septembre 2019 a été dominée par la conférence pluridisciplinaire ‘‘Africa, Globalization and the Muslim Worlds’’ qui s’est déroulée à la HARVARD DIVINITY SCHOOL (Cambridge, Massachussetts, USA). Ce rendez-vous a été l’occasion d’un échange fécond autour de l’Afrique globalisée et des dynamiques musulmanes qui traversent ce continent. Co-organisée par la Harvard Divinity School et la NORTHWESTERN UNIVERSITY, cette rencontre s’était donnée pour objectif de penser l’Afrique dans sa multiplicité et dans sa transversalité, dans le temps long comme dans le temps court, dans sa configuration continentale comme dans ses logiques diasporiques. Le défi était de taille mais cette rencontre aura tenu toutes ses promesses. Piloté d’un bout à l’autre par l’éminent Professeur Ousmane Kane (Harvard Divinity School) et son équipe de l’Université de Harvard, cet événement restera gravé dans les annales de l’histoire.


Dès l’entame, Zekeria Ould Ahmed Salem (Northwestern University) donne le tempo avec une communication magistrale sur « les lettrés musulmans de la Mauritanie ainsi que leur rapport à la reconstruction d’une autorité religieuse au sein du monde musulman ». Cet exposé sur la contribution littérature mauritanienne a parfaitement pris en compte la société mauritanienne dans la longue durée. Dans la même foulée, Zachary Wright (Northwestern University-Qatar) a interrogé les dimensions métaphysiques de l’islam africain à travers deux ouvrages de la Tidjaniyya: le Jawâhir al-ma’ânî et le Rimâh. Oludamini Ogunnaike (University of Virginia) insistera à son tour sur la créativité intertextuelle de la poésie islamique ouest-africaine contemporaine. Dans un rapport dialectique entre globalisation/glocalisation, Amidu Sanni (Fountain University, Nigeria) a envisagé une « réflexion épistémologique sur l’histoire intellectuelle africaine».


Les panélistes ont manifesté le souci d’articuler la perspective longitudinale à l’observation des formes émergentes pour justement jeter une lumière sur les dynamiques africaines qui se déterritorialisent. La communication de Diego Giovanni Castellanos (National University of Colombia sur « l’identité musulmane et la marginalisation sociale d’une communauté d’Afro-descendants en Colombie », celle de Madina Thiam (University of California) sur les relations entre la parenté sahélienne, l’éducation islamique et l’émancipation entre la Jamaïque et le Nigéria (1790-1854), celle d’Ayodeji Ogunnaike (Bowdoin College) sur « la place des intellectuels ouest-africains dans l’éducation et la pratique islamique au Brésil ».

Le terrain moyen-oriental n’a pas été en reste. Avec l’intervention d’Irit Bak (Université de Tel Aviv), c’est un pan rarement abordé de l’histoire de l’islam africain qui se décline: celui de la fascinante présence du soufisme ouest-africain à Jérusalem, depuis la période coloniale jusqu’à nos jours. L’Afrique du Sud entre dans la danse avec les textes de Rhea Rahman (Brooklyn College) sur l’activisme noir islamique sud-africain analysé en termes de “soft power” et la présentation de Gadija Ahjum (University of Cape Town) au sujet de l’émergence du chiisme au Cape Town. La corne de l’Afrique a été interrogée par Steve Howard (Université de l’Ohio) qui s’est penché sur une confrérie du Soudan ainsi que Felicitas Becker (Ghent University) qui a axé son exposé sur la dynamique réformatrice des prédications en swahili (Tanzanie, Kenya, Ouganda, Ethiopie). Aussi, la nouvelle quête d’influence turque en Afrique a fait l’objet d’une attention particulière grâce à Ezgi Guner (Université Illinois Urbana Champaign) qui a questionné l’attitude de « l’Etat turc envers les confréries soufies africaines ». Quant à Mara Leichmann, elle a interrogé les réseaux transnationaux chiites par la voie des ONG présentes entre le Sénégal et la Tanzanie.


Il est surtout à retenir l’intérêt qui a été porté sur les dynamiques sénégalaises. En effet, l’islam sénégalais a été la grande « vedette » de cette conférence comme l’atteste la palette de communications consacrées aux confréries soufies, organisations mises à l’honneur à travers l’illustre figure qu’est Cheikh Ibrahim Niasse (1900-1975). Après l’intervention de l’Américain Youssef Carter, qui a présenté une ethnographie en cours sur les vertus libératrices de la Tarbiyah, le socio-anthropologue sénégalais Cheikh Niang (Université Cheikh Anta Diop, Dakar) a abordé les perspectives sociopolitiques de la Fayda à travers son processus de globalisation. Enfin, Samiha Rahman (University of Pennsylvania) a abordé la fonction pédagogique de l’éducation islamique traditionnelle dans le Sénégal contemporain.
C’est au beau milieu de ces réflexions scientifiques que surgirent les « Baraka Boys », ce groupe de Pop londonien composé d’Africains et d’Afro-descendants. Par leur prestation, les Baraka Boys sont venus introduire une note musicale qui a assuré le prolongement de cette conférence dans l’univers de la performance artistique. Le parcours de ces Boys témoigne parfaitement de l’affinité élective qu’il peut y avoir entre identité religieuse, globalisation et production musicale, un espace de convergence qui nécessite un intérêt scientifique renouvelé.


Avec un total de 17 communications, c’est l’Afrique dans une pluralité de facettes qui a été passée au crible à travers des contributions de haute facture, dans une ambition de mettre en relief la dimension transversale des dynamiques africaines. Cette conférence a ouvert un espace de discussion sur les enjeux contemporains du continent africain, suivant des pistes originales et fécondes. La dimension critique des différentes interventions est à saluer tant cela permet de baliser une trajectoire autre que celle de l’éloge et de la célébration. Dans l’ensemble, il n’a pas été question de glorifier une part africaine dans l’histoire africaine ou de célébrer une quelconque exception continentale.

A travers ces différentes recherches, c’est l’originalité même des angles de vue qui est venue épauler le souci de profondeur historique. Ainsi peut-on affirmer que les jalons d’un nouveau bond qualitatif ont été posés à partir de cette rencontre qui ne s’est pas contentée de penser l’Afrique à partir des dynamiques continentales, mais bien plus d’articuler les rationalités continentales avec leurs prolongements et mutations dans les sphères diasporiques : une certaine façon de décentrer, voire de « provincialiser » l’Afrique. Le jeu ouvert et dynamique entre le passé, le présent et le futur est particulièrement mis en évidence dans ces entreprises de recherche où les figures sociales et politiques africaines sont abordées dans ce qu’elles ont de plus complexe et les destins africains décrits dans ce qu’ils ont de plus aléatoire et imprévisible. Une véritable leçon de méthode qui nous invite à relativiser la portée des théories et autres entreprises de généralisation, en prenant plutôt acte des innombrables mutations et changements d’échelle, de la multiplicité et de la diversité des points de repères et projections qui émergent dans une Afrique aux prises avec les épreuves de la globalisation.

A l’issue de cette conférence, le champ analytique s’est enrichi de nouveaux concepts: éthique de la presenza (Cheikh Niang), poétique de l’intertextualité (Ogunnaike), principe libérateur de la Tarbiya (Carter), parrêsia maure (Zekeria Ould Ahmed Salem) et tant d’autres concepts qui sont apparus en filigrane : courbe sémantique, foyer d’irradiation, concomitance historique etc. Bref que d’audace et d’inventivité qui viennent confirmer cette témérité à envisager l’Afrique non plus uniquement à partir des espaces les plus structurés, mais aussi à partir des marges et de tous ces espaces réticulaires qui se situent entre le niveau micro et celui méso social.

Résolument comparatistes et constructivistes, ces recherches insistent sur le caractère processuel et donc inachevé de ces élaborations sociales, politiques et culturelles dont elles entendent suivre les développements. C’est seulement par cette voie que ces recherches peuvent espérer contourner les pièges de l’essentialisme et du culturalisme ainsi que leurs cortèges de simplification et d’uniformisation.
On l’aura bien compris, ces espaces composites et cosmopolites que les chercheurs ont pu identifier suffisent pour situer l’Afrique aux confluents de mouvements et de moments significatifs d’un engagement irréversible dans le jeu mondial. Par des procédés d’incorporation, d’indigénisation et de domestication, le continent se réinvente sans cesse. Il trouve aussi dans le système d’échange globalisé les moyens d’externaliser et de délocaliser ses multiples expériences.

Élément majeur de la nouvelle topographie africaine globalisée, l’islam se fraie quelques chemins dans une sphère interstitielle à l’intérieur de laquelle les Etats-nations viennent re-négocier leur souveraineté face à des cadres d’action et de sociabilité dont les marges de manœuvre sont coextensives de la globalisation. L’islam se re-déploie aujourd’hui, à travers des formes organisationnelles telles que les ONG, les fondations, les structures, les coopératives entre autres, sans toutefois se désolidariser complètement des structures traditionnelles (familles, clans, ethnies, nations, terroirs). La subtilité des mécanismes d’action et la singularité des variations locales sont garanties par des figures d’entrepreneurs dont l’aura et l’influence augmentent à mesure qu’ils se positionnent sur le terrain du travail social et éducatif, symptomatique du renouveau de l’imagination missionnaire. Ce champ micropolitique qu’on observe à différents endroits bénéficie largement de la globalisation des échanges économiques, politiques et culturels.

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