«El Hadji Oumar Foutiyou TALL (1794-1864), un géant de l’Histoire» par M. Amadou Bal BA -

«El Hadji Oumar Foutiyou TALL (1794-1864), un géant de l’Histoire» par M. Amadou Bal BA -

Etudes

El Hadji Omar TALL, un géant de l’Histoire, propagateur de l’Islam en Afrique de l’Ouest et créateur du plus grand empire en Afrique noire (1848-1897), si méconnu et délégitimé, était un Saint, un organisateur, un stratège, un savant et un anticolonialiste. El Hadji Omar Foutiyou TALL, chef de la confrérie tidjane pour toute l’Afrique de l’Ouest, une tendance soufie, mystique et ascétique, aura contribué, de façon décisive, à l’islamisation du continent noir. Si son empire s’est effondré avec sa mort, correspondant ainsi avec la montée du colonialisme, en revanche, son influence sur l’Islam et le rayonnement de sa confrérie Tidjane sont demeurés, plus que jamais, vivaces.

 

On est donc étonné qu’au Sénégal, peu d’établissements, de rues ou d’universités portent son nom. Pourtant, Mohamadou Aliou THIAM (décédé en 1911), originaire de Aéré Lao, compagnon d’El Hadj Omar dès 1846, il décrit, dans son «Qacida en Poular»,  l’ensemble des épisodes de la guerre sainte ainsi que le voyage à la Mecque d’Omar Foutiyou TALL. Le Qacida, écrit en prose, en Peul, avec l’alphabet arabe, puis  retranscrit, traduit en français et annoté par Henri GADEN (1867-1939), est un témoignage fidèle de la tradition orale ; c’est une véritable œuvre d’historien, d’un disciple de la première heure, ayant suivi pendant dix ans El Hadji Omar à Diégounko, dans l’Ouest de la région de Faranah, au Fouta Djallon, en Guinée. Mohamadou THIAM se retrouvera à Ségou avec Amadou Cheikhou, avant de mourir en 1911 au Fouta-Toro. Mamadi Aïssa DIAKITE, cadi et président du tribunal de la province de Nioro, a également retracé cette tradition historique et légendaire, dans un ouvrage traduit par Maurice DELAFOSSE. Cheikh Moussa CAMARA (1864-1945), de Ganguel, lui a consacré une bibliographie. Tout en reconnaissant la sainteté et le vaste savoir d’El Hadji Omar, Cheikh Moussa nie qu’il soit un descendant du Prophète Mohamed. Thierno Mountaga TALL (1914-2007), un descendant d’El Hadji Omar TALL, est l’auteur d’une biographie sur son ancêtre. Il est regrettable, qu’en dépit de ses connaissances et de la documentation transmise par les autorités françaises, que cet ouvrage, «El Hadji Oumar TALL, l’aigle de Alwar», se limite à la dimension mystique et ésotérique de son arrière-grand-père. Mountaga TALL a aussi annoté l’ouvrage de Fernand DUMONT : «El Hadji Omar sultan de l’Etat tidjanite», traduit de l’arabe. Oumar BA a eu le grand mérite de restituer, fidèlement, «la chronométrie du destin d’El Hadji Omar».

 

«Beaucoup de ce qu’on a pu écrire, en France, surtout sur El Hadj Omar et Ahmadou, est entaché de parti pris, parfois même de partialité haineuse et chauvine, marque une époque où l’on vengeait sur le Niger les insultes subis sur le Rhin» écrit Yves SAINT-MARTIN dans son ouvrage sur «L’empire toucouleur». Si la Bibliothèque nationale de France a choisi de l’ignorer, seules quelques références bibliographiques lui sont consacrées, nous avons, pourtant, différents témoignages d’administrateurs coloniaux. Dans ce fatras de littérature coloniale, souvent plein de calomnies et de haine, l’ouvrage d’Eugène MAGE (1837-1867), un contemporain d’El Hadji Omar et envoyé spécial de Faidherbe à Ségou, renferme de précieux témoignages, souvent tirés de témoignages et de la tradition orale «Je crois, pour qu’il soit mieux compris, devoir donner ici l’histoire d’El Hadj Omar, non peut-être telle que le ferait l’Européen, s’il s’en trouvait qui eût été mis à même de la connaître dans toute son exactitude, du moins telle que El Hadj a voulu qu’elle soit divulguée, telle surtout qu’on la racontait à Ségou » écrit Eugène MAGE. Un éminent africaniste, Maurice DELAFOSSE (1870-1926) s’est intéressé à cet illustre Fountankais. Certains témoignages, sans nuances, puent la propagande coloniale ; El Hadj Omar est présenté comme un fanatique et ambitieux. D’autres, même dans leur mépris souverain, devant la sainteté du personnage, sont nuancés : «Il se distingua, dès sa jeunesse par une dévotion exaltée ; avant d’entreprendre le voyage qu’il a fait à la Mecque, il avait déjà des élèves qui lui attribuaient le pouvoir des miracles ; quelques marabouts de Saint-Louis tiennent, à grand honneur d’avoir été ses disciples. C’est un homme d’une figure remarquable, sur laquelle se peignent une vive intelligence, un sentiment de méditation et de calcul, reflet de sa profonde ambition» écrivent Frédéric CARRERE et Paul HOLLE. En effet, Paul HOLLE (1807-1862), qui l’affrontera en 1857, lors du siège de Médine, relate qu’El Hadji Omar a rencontré, en août 1847, à Bakel, le gouverneur Ernest BOURDON de GRAMMONT (1805-1847) et à Saint-Louis, en 1846, le lieutenant-colonel CAILLE, directeur des affaires politiques, à qui il dira son intention de pacifier le Sénégal, de rétablir l’harmonie entre les différentes races, le commerce et la sécurité de tous les pays. Suivant Paul HOLLE, initialement, El Hadji Omar souhaitait commercer avec les Français : «Je suis l’ami des Blancs, je déteste l’injure. Je veux la paix ; Quand un Chrétien a payé la coutume, il doit pouvoir commercer avec sécurité. Lorsque je serai l’Almamy du Fouta, vous devriez me construire un fort ; je disciplinerai le pays, et des relations complètement amicales s’établiraient entre vous et moi» dit El Hadji Omar.

 

Initialement, El Hadj Omar ne voulait pas engager une guerre contre les Français, mais étendre l’Islam en Afrique de l’Ouest ; sa guerre sainte ne visait, officiellement, que les mécréants. En gage de bonne foi, El Hadji Omar avait remis à GIRARDOT, commandant des forces de Sénoudébou, un de ses fils comme otage, mais qualifié, par les Français, d’espion. Cependant, les raisons du dissentiment avec les Français sont multiples.

 

D’une part, jusqu’à la moitié du XIXème siècle, n’ayant pas les forces nécessaires pour s’y opposer, le colonisateur français était dans la résignation, dans l’attente de jours meilleurs. En effet, El Hadji Omar, avec ses nombreux partisans de Dinguiraye, au Fouta-Djalon, a réussi à islamiser notamment le Kaarta, le Ségou, le Cayor, le Baol, le Sine et le Saloum, ainsi que de nombreux territoires jusqu’au Tchad. Le colonialisme étant une entreprise de domination d’un peuple sur un autre ne pouvait pas tolérer les victoires d’El Hadj, fussent-elles purement religieuses : «Nos prétentions à la domination du Sénégal par un commencement d’exécution à la prise de Podor, en 1854, devaient bientôt nous mettre aux prises avec ce fanatique» écrit le colon, dans Sénégal et dépendances de 1861. Dans sa tactique, depuis les échecs à Médine et à Matam, El Hadji Omar, préférera ne plus affronter, directement les colons ; il mènera ses guerres vers le Bambouk, Farabana et Makhana. Les Français furent obligés de mobiliser 12 000 hommes à Farabana, pour tout en continuant de négocier avec El Hadj Omar.

 

D’autre part, le second élément de dissentiment, c’est que cet état de guerre menaçait les intérêts des traitants français. «Partout où on voulait faire du commerce, il fallait d’abord payer, sous le nom de coutumes, des droits au chefs indigènes, avant même de savoir si l’on ferait des affaires» écrit Faidherbe. «Les Blancs ne sont que des marchands ; Qu’ils apportent des marchandises dans leurs bateaux, qu’ils me paient un fort tribut lorsque je serai le maître des Noirs, et je vivrai en paix avec eux» déclare El Hadj Omar.

Par ailleurs, la France voulait entreprendre un chemin de fer Dakar-Niger, ce que contrarie, fortement, les conquêtes et l’ascension fulgurantes d’El Hadji Omar. Ainsi, lors de son séjour à N’Dar (Saint-Louis), El Hadj Omar a fait une déclaration qui a inquiété les autorités coloniales «Maintenant que je me sers de la force, et je ne cesserai que lorsque la paix me sera demandée par votre tyran (Le Gouverneur français du Sénégal) qui devra se soumettre à moi, suivant ces paroles de notre maître : Fais la guerre aux gens qui ne croient ni en Dieu, ni au Jugement dernier, ou qui ne se conforment aux ordres de Dieu, au sujet des choses défendues, ou qui ayant reçu une révélation, ne suivent pas la vraie religion, jusqu’à ce qu’ils paient le tribut religieux par la force et qu’ils soient humiliés. Quant à vous enfants de N’Dar, Dieu vous défend de vous réunir à eux ; il vous a déclaré que celui qui se réunira à eux, est un infidèle comme eux». El Hadi Omar envoie un ordre au Goy, au Boundou et aux Foutankais, pour bloquer les colons français à Podor et à Bakel. A partir de cet instant, El Hadji Omar est considéré comme un ennemi dangereux pour les Français «Les nouveaux ennemis que nous allons combattre étaient les plus redoutables de tous. Les guerres de religion sont impitoyables et le fanatisme inspire un courage qui ne recule devant rien, puisque ceux qui en sont animés, la mort elle-même, est regardée comme un bien» écrit la revue Sénégal et dépendance. Faidherbe a désigné El Hadji Omar comme étant l’ennemi n°1 des Français «Ce danger, El Hadji Omar en était l’incarnation vivante. (…) Intelligent, ambitieux, mais cruel, Omar El Hadji rêvait de devenir une sorte de Mahomet sénégalais ; il réussit à devenir un homme composé d’un Mahomet, d’un Abdel Kader et d’un brigand» écrit Henri CYRAL.

 

En 1856, Louis FAIDHERBE (1818-1889) confia une mission à Eugène-Abdon MAGE (1837-1869) et au docteur QUINTIN, en vue de l’expansion de la France vers l’Est, jusqu’au Niger en passant par le Mali dominé par l’empire fondé par El Hadji Omar : «Votre mission consiste à explorer la ligne qui joint nos établissements du Haut-Sénégal avec le Haut-Niger et spécialement avec Bamako, qui paraît le point le plus rapproché, en aval duquel le Niger ne présente plus d’obstacles à la navigation» écrit Faidherbe. MAGE se rendit le 12 octobre 1863 à Ségou, après un long voyage, il n’arrivera à destination que le 28 février 1864, jour de la mort d’El Hadji Omar.

 

El Hadj Omar TALL est né, suivant Thierno Mountaga TALL, le 21 mars 1794, à Halwar, le premier jour du Ramadan. Sa date de naissance comporte des incertitudes, les auteurs ont retenu l’année 1797, j’ai opté la précision donnée par Mohamadou Aliou THIAM et confirmée par Thierno Mounta TALL : «El Hadj Omar est né, non vers 1797, en 1794 ou 1795», les Peuls et Toucouleurs comptent, non pas par années, mais par saisons de pluies, précise Henri GADEN, le traducteur de Qacida. Son village natal, signifie une ville délicieuse en arabe, habitée par des hommes de principe : «Un qui ne faiblira pas, qui est sorti d’un village, celui-là béni de notre Fouta que l’on nomme Halwar, rendu brillant qui ne sera pas obscur» écrit Mohamadou Aliou THIAM. Halwar est situé dans l’actuelle région de Podor, à 18 km de N’Dioum et 30 km de la ville de Podor. Fils de Saidou TALL, un polygame père de douze enfants, il est le 8ème et dernier enfant de sa mère, Adama Aïssé Bint Elimane Ciré Samba Demba Aly Moctar THIAM. Les griots appellent souvent, El Hadj Omar, «Kodda» (cadet) Adama Aïssé, une mère d’une soumission légendaire, «la purifiée qui ne sera pas souillée. (..) Possédant les pleines lumières de la religion au-dedans et au-dehors, elle est un onguent au musc dont le parfum ne se dissipe pas» précise Mohamadou Aliou THIAM. Il a aussi reçu le surnom de «Oumaroul Foutiyou», ou Oumar le Foutankais ; il est issu de la caste des nobles, les Torodos, détenteurs du savoir. Il commence ses études coraniques d’abord avec son père, un dévot et savant, critique vis-à-vis de la confrérie Qadriyya encore dominante : «Une dispute s’était élevée entre mes parents et les habitants de Halwar, au sujet d’une mosquée que mon père voulait construire dans sa maison, pour ne pas être troublé dans ses prières. Les gens du village la lui rasèrent et le bâtirent, disant qu’il devait venir faire sa prière à la mosquée. Et, comme il refusait, ses adversaires le traduisirent en justice devant un autre marabout très renommé. Je l’accompagnai au village où devait se prononcer le jugement. Quand il eut entendu l’affaire l’Almamy Youssouf réfléchit, et me prenant par la main, dit aux deux parties : «Que vous sert-il de se disputer ? Rester en paix ; rentrez chez vous, et surtout, regardez bien cet enfant, car il vous commandera un jour» raconte El Hadj Omar. Il va approfondir ses études coraniques auprès des Maures Ida-Ou-Ali de tendance Tidjane, et reçu l’influence d’un marabout maure, Maouloud FALL. Il se rend aussi en Guinée, et aura comme maître, Abd el-Kérim ben Naguib, un lettré musulman originaire du Fouta-Djalon, membre de la confrérie Tidjaniya. Il reviendra plus tard en Guinée qui sera la base du lancement de son empire et son Jihad.

 

Les Français l’appellent «El Hadj» c’est-à-dire le pèlerin ; il a été à la Mecque à l’époque où les pèlerins vivaient de la mendicité, avec des périodes de longues pauses ; la plupart meurent avant d’arriver et beaucoup restent établis sur la route ne sentant pas le courage de revenir, ni d’aller plus loin. El Hadji Omar a accompli cet exploit, sans grandes difficultés, grâce à son éducation. La tradition orale veut que pour son départ à la Mecque, El Hadji Omar TALL n’avait comme viatique que trois épis de maïs «ces trois épis ne sont rien comparés aux bénédictions d’une mère et je suis armé de celles de ma mère» aurait-il dit. En 1827, et avec l’aide financière des Saint-Louisiens, il entreprend un pèlerinage à la Mecque, en passant par le Bornou, le Haoussa, le Ouadai et le Darfour et l’Egypte. Omar promet à Mohamadou BELLO (1781-1837), fils d’Ousmane Dan Fodio (1754-1817), un peul du Sokoto, au Nigéria, mais dont les ancêtres sont fountankais, à son retour, de marier sa fille. En fait, il s’agissait de jumelles : Omar mariera avec Ramatoulaye, et son frère, Alpha Amadou, prendra Hassinatou comme épouse. La tradition orale soutient que pendant son long séjour au Nigéria il a enseigné le Coran aux hommes et aux Djins (les esprits). Il s’est aussi marié avec Mariétou, la fille de Omar, sultan de Bornou ; elle lui donnera comme enfant, Aguibou (1843-1907). Durant ce périple de 17 ans, El Hadji Omar visitera le Niger, l’université Al-Azar au Caire, le Bornou et Jérusalem. Il séjourne à Médine de 1828 à 1831, ce qui lui permet d’approfondir ses connaissances du Coran, de la culture coranique et de l’arabe. Sa fille, Madinatou, est née à Médine.

 

Pendant son séjour, dans les lieux saints de l’islam, El Hadj Omar fait la connaissance du Khalife, Cheikh Muhammad Al Ghali, disciple d’Ahmad Al Tidjani, qui va exercer sur lui une influence déterminante : «Il donna à Cheikh Omar une autorisation sainte, c’est-à-dire complète. Il le fit Moqadem et même Khalifa pour les pays noirs Son «mentor» lui décernera le titre de khalife des Tidianes. Il lui enseigna en même temps un Istikhâra (divination) qui ne deviendra pas obscur, c’est-à-dire qui devrait lui dicter clairement ses décisions» écrit Mohamadou Aliou THIAM. Il revient sur ses pas en passant par le Caire, à son université religieuse, Jérusalem, le Bornou et le Haoussa. En raison de sa longue absence, son grand-frère Alpha Amadou vient le chercher et ils repartent ensemble au Sénégal, en 1838. Après avoir échappé à une tentative d’assassinat, au Macina de la part du sultan Cheikh Amadou Lobbo (1776-1845), il sera mis au fer par le roi de Ségou, Tiéfolo DIARRA, pendant trois mois, et ne sera libéré que suite à une intervention de la sœur de ce roi, Nia DIARRA. Cette expérience douloureuse lui a peut-être inspiré un mépris des souverains despotiques païens, appelés «Kaffir». Il fera halte, pendant six mois, dans le royaume du Mandé, à Kankaba, et repartit en passant par Kankan. El Hadj Omar quitte le Soudan en 1840. El Hadji Omar aura 50 enfants ; sa fille aînée est née à Médine et son fils aîné, Ahmadou Cheikou, Lamido Dioulbé ou commandeur des croyants, est né en 1833 au Sokoto.

 

En 1841, c’est donc auréolé d’un prestige certain qu’El Hadj Omar va au Soudan en passant par le Nigeria, puis du Mali, il se rend en Guinée, à Diégounko, chez Mohamadou DIA, avant de retourner au Fouta-Toro, en passant par le Boundou, la Gambie, la haute Casamance, le RIP, le Saloum, le Sine, le Baol, le Cayor et le Oualo. Dans l’Etat peul Firdou, région de Kolda, Alpha Yaya BALDE, se convertit au Tidjanisme, il est le père de Moussa Mollo BALDE, (1846-1931) d’abord collaborateur du colonialisme, puis résistant. En 1846, à Saint-Louis, il bénit la mosquée Lodo ; il rencontre l’interprète Bou El Mogdad SECK (1826-1880), ainsi que CAILLE, directeur des affaires politiques de la colonie. Il s’entretiendra, en 1847, à Bakel avec le gouverneur, Ernest BOURDON de GRAMMONT (1805-1847). Les Socés de la Gambie l’accueillent avec bienveillance.

 

Lors de l’étape en Guinée, au Fouta-Djalon, Omar s’installe d’abord à Fodéagui, puis à Diégounko, près de Timbo, avec l’aide de l’Almamy Bocar, et y fonde une école religieuse (Zaouia). Mais El Hadji Omar, surveillé par l’aristocratie de Timbo et de Labé, n’y acquiert qu’une renommée fort modeste. Entre 1844 et 1845, il met à profit cette période de répit, pour rédiger son livre Ar Rimah, «Les Lances», invitant les musulmans à adopter la voie Tidjane, une connaissance approfondie de Dieu, une retraite intérieure et un ascétisme : «Tout sage qui désire se livrer, tôt ou tard, de ses mauvais penchants, doit se faire guider par un Cheikh, un directeur spirituel, très instruit, ayant une profonde connaissance de ses défauts et de leurs remèdes. Il se fera diriger par lui et se pliera à ses ordres avec une parfaite obéissance. Le disciple doit être à la disposition de son Cheikh, comme le cadavre est à la disposition du laveur» écrit-il. El Hadj Omar distribua de nombreux exemplaires de son livre aux notables du Fouta-Toro. En 1846, à son retour au Fouta-Toro, au lieu de s’y fixer, El Hadj Omar, en passant par Bakel et le Boundou de l’Almamy Bocar Sada, revient vers le sud et fonde Dinguiraye, en Guinée, terrain à l’époque non habité et acheté au roi Guimba, jetant ainsi les prémisses de ce qui allait devenir, par la suite, un vaste empire musulman. «Une fois installé, il instruisait ses disciples, matin et soir. Lorsqu’il trouvait à acheter des armes, soit des fusils, soit des sabres, soit des flèches, soit des lances, il achetait toutes les armes qu’il trouvait» écrit Mamadi Aïssa. A chaque étape, il engrange de nouveaux partisans pour sa cause. Sa pensée religieuse s’affirme de plus en plus. Il écrit aux notables du Fouta-Toro «pour leur ordonner de faire la guerre sainte aux infidèles» précise Mamadi Aïssa. El Hadji Omar laisse le commandement de Dinguiraye à Ousmane Diawando, et s’engage, à partir du 21 mai 1854, résolument, dans la guerre sainte.

 

A la fin de sa vie, El Hadji Omar a été trahi par les Kounta de Tombouctou et les gens du Macina, qui se sont ligués contre lui. Les Bambara animistes et polygames étaient mécontents de la limitation du nombre des femmes par l’Islam à quatre : «C’était la coutume, chez les Bambara, que rien ne limitât le nombre des femmes de chacun en dehors de l’étendue de ses moyens, et il arrivait qu’un seul homme eût quarante épouse» écrit Mamadi Aïssa. Alpha Oumar Thierno Baïla devait se faire remettre les femmes en surnombre et les envoyer à El Hadj Omar comme butins de guerre. Par ailleurs,  «lors de l’entrée du Marabout, Amadou Lobbo et Abdou Salam, dépossédés par leur neveu, Amadou Mo Amadou, avaient espéré trouver dans son invasion l’occasion de reprendre leur pouvoir ; aussi n’avaient-ils rien fait pour empêcher la mort de leur infortuné neveu. Cependant, dès que ces chefs eurent perdu l’espoir de se voir conférer par El Hadj le rang qu’ils convoitaient ; dès qu’ils surent que ce dernier avait manifesté l’intention de remettre à son fils Amadou le gouvernement du pays, ils commencèrent à former un complot de révolte» écrit Eugène MAGE. Tous ces princes, ainsi que le roi de Ségou, Ali DIARRA mis au fer, finiront par être exécutés. Si Moustapha, un esclave gérant le Nioro a été sage, en revanche, les nouveaux impôts de Amadou Cheikou à Ségou ont mis le feu au poudre. Ahmed El Bekkai, chef des Kounta de Tombouctou et les gens du Macina d’Amadou Lobbo, organisèrent un blocus contre El Hadj Omar, «si solide que les assiégés en furent réduits à manger des morts» écrit Mamadi Aïssa. Les renforts de Bandiagara, de Tidjani, fils d’Alpha Amadou, son frère, tardant à venir, El Hadji Omar est allé se réfugier dans une grotte, dans les montagnes, entre Hamdallahi et Bandiagara. Suivant Thierno Mountaga TALL, El Hadj disparaît le mercredi 28 février 1864. D’autres auteurs estiment qu’El Hadji Omar est mort le 12 février 1864 : «Il venait juste de terminer la prière de l’après-midi (Takoussaan). La poudre explosa. C’était une maladresse que l’un de ses hommes renversa des braises dessus», estime Mountaga TALL. Pour Mamadi Aïssa, El Hadji Omar est mort en septembre 1864, ce qui correspond aux dates indiquées par Eugène MAGE. Pour Mamadi Aïssa, les Foutankais lassés d’attendre les renforts de Tidjani, avaient commencé à trahir El Hadji Omar. C’est ainsi que les coalisés, les Kounta et les gens du Macina, ont pu engager une attaque dans la grotte, et «combattirent, avec acharnement, jusqu’à ce que le feu ayant été mis à de la poudre qui avait été répandue, il se produisit une explosion dans la grotte ; et, c’est ainsi que se termina la carrière d’El Hadji Omar» écrit-il. Le commandant LARTIGUE donne une version peu plausible, pour un musulman, celle du suicide : «Il dut se faire sauter dans une grotte, avec les tonneaux de poudre que portaient ses enfants, pour ne pas tomber entre les mains de ceux qui le poursuivaient». Une autre légende, recueillie par Paul SOLEILLET auprès de la population musulmane, consiste à soutenir qu’El Hadji Omar, cerné par l’ennemi, se retira dans une haute montagne, et qu’il y fut enlevé au Paradis. «Cheikh Oumar s’éclipse des falaises de Bandiagara, définitivement, aux yeux des hommes. Il fut ainsi le troisième homme à être élevé dans les cieux, après le Prophète Issa (Jésus) et Seydina Ali Ibn Abi Talib» écrit Thierno Mountaga TALL. Suivant, Mohamadou Aliou THIAM, après avoir vaincu les Kounta et les gens du Macina, Tidjani retourna à la montagne : «Les corps avaient été mis en pièces par l’explosion de la réserve de poudre et aucun ne put être reconnu. Il fit rassembler ces restes et les apporta à Bandiagara où il les fit enterrer».

 

I – El Hadji Omar et l’Islamisation de l’Afrique de l’Ouest

 

A – El Hadji Omar TALL, le savant et le miraculeux

 

L’épopée qui magnifie El Hadji Omar TALL accentue son côté combattant de la foi en y intégrant miracles et magie noire. Seule compte l’image du «gigantesque cavalier entouré d’un halo de lumière qui galope sur son destrier, pour disparaître à l’horizon» écrit Emile DUCOUDRAY. Les écrits de Cheikh Moussa CAMARA et de Mamadou Aliou THIAM ont renforcé cette dimension mystique d’El Hadji Omar TALL, le «Waliyou» (miraculeux et savant). Lors de son séjour à l’université Al Azar, en Egypte, sous Méhémet ALI (1769-1849) ses hôtes furent surpris par l’étendue de ses connaissances : «Le bélier universel à la tache noire à la tête, a compris toutes les sciences. (..) Tant enfin ils furent saisis de ces prodiges que fut la façon dont répondit le Cheikh à ces questions profondes, ardues, qui ne sont pas faciles. C’est un savant qui a compris toute chose qu’il a lue. C’est un homme qui excelle en connaissance profonde, il ne se trompe jamais» écrit Mohamadou Aliou THIAM.

 

D’une grande simplicité et généreux, El Hadji Omar est un grand communicateur. Les griots du Mali lui ont consacré une chanson traditionnelle, désormais attachée à son nom : «Tara». Les qualités personnelles d’El Hadji Omar TALL ont été reconnues de tous : «Cet homme à qui on s’accorde à reconnaître une  grande éloquence, n’eût pas de peine à se faire passer aux yeux des Noirs du Sénégal, pour un être extraordinaire, doué d’un pouvoir surnaturel ; on croyait toute espèce de miracle possible de sa part ; on en racontait déjà» écrit la Revue Sénégal et dépendances de 1861. Paul SOLEILLET (1842-1886) a décrit El Hadj Omar. Ses yeux étaient expressifs, ses traits réguliers. Sans moustache, sa barbe était noire, soyeuse, partagée au menton. Il ne parut jamais avoir plus de trente ans. Personne ne l’avait jamais vu se moucher, cracher, suer, ni avoir chaud, ni avoir froid. Il pouvait rester indéfiniment sans manger, ni boire. Ses mains et ses pieds étaient parfaits. Il ne parut jamais fatigué de marcher, d’être à cheval ou immobile sur une natte. Sa voix était douce et s’entendait distinctement aussi bien de loin que de près. Il n’a jamais ri, ni pleuré, jamais il ne s’est mis en colère. Son visage était toujours calme et souriant. «La Justice est le droit de l’Homme, dans ce monde et dans l’autre ; là où la justice des hommes aura été en faute, celle de Dieu ne faillira» dit El Hadji Omar.

 

Homme modeste, érudit et doté de vastes connaissances, on prête à El Hadji Omar de nombreux miracles. Il aurait fait le Ramadan le premier jour de sa naissance : «Quand il naquit il refusa d’être allaité, les gens pensèrent qu’il était malade. (..) Les sages dirent : «ce bébé n’est pas souffrant, mais peut-être qu’il a en lui quelque chose de mystérieux. Peut-être que c’est un Saint» écrit Samba DIOP dans «Epopée africaine». Dès l’âge de quatre ans, son maître coranique a avoué qu’il est en avance sur lui.  A huit ans, il savait par cœur tout le Coran qu’il avait mémorisé. Talibé, il ne va quémander la pitance, mais à l’heure de présentation de la sébile, la sienne est bien achalandée. Aux champs, il refuse de cultiver, mais les parties dont il a la charge sont dégagées de toutes mauvaises herbes. Il traverse le fleuve, comme le Moïse de la Bible. Dans tout ce qu’il faisait, il semblait avoir le soutien des génies qui lui avaient prédit qu’il n’aura pas de funérailles. Il vaincra les païens, mais les «incirconcis aux oreilles rouges» domineront le continent noir. En Syrie, Omar guérit l’enfant handicapé d’un roi, Ibrahim Pacha (1789-1848). Dans son histoire du Sokoto, El Hadj Saïdou relate qu’il a sauvé de la soif une expédition menée contre le Gober en faisant venir, par ses prières l’eau dans un puits à sec, sans qu’une goutte d’eau ne se perdît à l’extérieur des murailles.

 

Omar TALL avait de l’éloquence et de la finesse. Ainsi, au Caire, les chefs religieux étaient sceptiques, un Noir pouvait-il en savoir autant qu’eux ? Ils le convoquèrent pour l’interroger et sonder ses connaissances théologiques. Un rhéteur malicieux lui lance, sournoisement, cette attaque : «O Miracles, exagération descendant du prophète, rhétorique science toute splendeur que tu sois, mon âme se dégoûtera de toi si tu t’enveloppes de noir» lui dit un de ses détracteurs. La tradition orale défendue par Mahamadou Aliou THIAM, rapporte qu’El Omar répondit, brillamment, et triompha de tous les pièges, en leur clouant le bec : «L’enveloppe n’a jamais amoindri la valeur du trésor qui s’y trouve enfermé, Donc Ȏ poète inconséquent, ne tourne plus autour de la Kaaba, maison sacrée d’Allah, car elle est enveloppée de noir. Ȏ poète inattentif, ne lis donc plus le Coran, car ses versets sont écrits en noir. Ne réponds donc plus à l’appel de la prière, car le premier ton, fut donné, et sur l’ordre de Mohammed notre modèle par l’abyssin Bilal, donc un noir.  Hâte-toi de renoncer à ta tête couverte de cheveux noirs. N’oublie pas que c’est avec l’irremplaçable prunelle noire que l’œil parvient à discerner. Chez moi, dans le Tekrour, tout noirs que nous soyons, l’art de la grossièreté n’est cultivé que par les esclaves et les bouffons».

 

Né au temps des Almamy du Fouta-Toro qui ont instauré une République théocratique au Fouta-Toro depuis 1776, El Hadj Omar TALL n’a pas été accepté facilement dans son pays. Le Jihad qu’il préconise et les troupes qu’il veut lever du Fouta-Toro, ainsi que la tentative de conciliation avec le colonisateur, ont été des sources de dissentiment avec les Almamy antiesclavagistes et résolument en guerre contre l’occupant français. Par ailleurs, la dimension mystique de l’auteur des «Lances» ou AR Rimah, qui explicite la doctrine de Cheikh Amet Tidjane, est un des éléments majeurs de l’apport d’El Hadji Omar, à l’Islam en Afrique Occidentale. En effet, El Hadji Omar, avec sa confrérie Tidjane, a une double divergence avec les Almamy du Fouta-Toro.

 

D’une part, ces derniers sont d’une autre confrérie, celle des Qadriyya, dont le fondateur, au XIIème siècle, est l’iranien Abdel Kader El Jilani (1079-1166). Le tidjanisme omarien rejette toute hiérarchie sociale et prône l'égalité de tous les hommes, et «allait devenir une africanité, une négritude avant la lettre» écrit Gérard CHENET.  En effet, les adeptes du Tidjanisme, se fondent le Coran et la tradition prophétique, et se réfèrent, en particulier, tous à son fondateur, Cheikh Amet Tidjani, par la grâce et sainteté que lui a accordées le Seigneur, clôt l’arrivée de tout prophète ou envoyé de Dieu. Le Tidjanisme introduit le Wird (invocations obligatoires pour tout affilié), les Hizbs (prières écrites ou conseillées par le fondateur), le Wazifa (série de litanies et de prières spécifiques à réciter chaque jour), et respectent les 23 règles fondamentales de la confrérie, dont le Maouloud ou la célébration de l’anniversaire du Prophète, Mohamet.

D’autre part, à la suite de l’assassinat de l’Almamy, Abdoul Kader KANE le 4 avril 1807, en raison des rivalités et des dissensions entre les familles nobles, le Fouta-Toro est plongé dans une crise morale très profonde. El Hadji a dénoncé, avec virulence, l’affaissement de ces valeurs morales, contraires, selon lui, à l’Islam : «Vous êtes comme des infidèles, buvant et mangeant l’injustice, et vos chefs violent la loi de Dieu, en opprimant les faibles» dit-il. Cependant, «nul n’étant prophète dans son pays» comme le dit un adage, El Hadji Omar TALL a failli être assassiné suite à un complot ourdi par Boubacar Aly Doundé, fils d’un chef des Bosséyabé. Avant de repartir en Guinée, il envoya ce message aux chefs du Fouta-Toro : «Vous avez refusé de me suivre pour travailler avec moi, à la conversion des infidèles. Mais, dans un temps, qui n’est pas éloigné,  vous accourez tous, sans que je vous appelle» écrit-il. 

Cheikh Moussa CAMARA, un des biographes d’El Hadji Oumar, a rappelé qu’il n’est pas un descendant du Prophète Mohamet. Il réitère le caractère fondamentalement peul d’El Hadji Oumar qui a renversé les royaumes Bambaras, jadis ennemis jurés des Toucouleurs. Pour Cheikh Moussa CAMARA, en dépit de ses grandes qualités, El Hadji Oumar est un mortel ; cependant, il a un pouvoir spirituel immense. Ainsi, pendant son voyage à la Mecque, il s’était engagé sur le chemin de terre fort dangereux et infesté de brigands. Il récitait pendant ses prières «Celui qui a ouvert ce qui avait été fermé» et il a échappé à tous les désagréments.

 

B – El Hadji Omar, le Jihadiste : balayer et nettoyer les pays du paganisme

 

A son retour de la Mecque, El Hadj Omar est devenu «un homme mûr et grave, instruit par ses lectures, ses conversations et ses nombreux voyages. Si la science de Dieu a été sa principale préoccupation, on peut penser qu’il avait aussi gardé les yeux ouverts sur le monde profane» écrit Yves SAINT-MARTIN. En effet, El Hadji Omar repart en Guinée, au Fouta-Djalon, et s’installe à Dinguiraye, en 1849, avec l’accord Dyimba SAKHO, chef des Diallonké de Tamba, qu’il paie en or, pour préparer la guerre sainte. «S’exiler, c’est s’enrichir» avait-il coutume de dire. «Un homme extraordinaire, de race Foulah, prenait une grande influence sur ses compatriotes. (…) Son renom de sainteté attirait autour de lui un si grand nombre de disciples qu’il put songer à en faire une armée» écrit J. PINCHON. «El Hadj achète, vend de la poudre d’or qu’il tire du Bouré, arme ses élèves, cultive, remplit ses greniers de mil et se fortifie. Possédant déjà une véritable armée qui chaque jour, grossissait» écrit Eugène MAGE. Il fait bâtir cette mosquée ressemblant à une grande case, avec l’aide d’Ousmane Diawando, ainsi qu’un «Tata» (fortification). A partir de ce moment, le colonisateur considéra qu’il menaçait ses intérêts : «Un plus redoutable adversaire se rencontra dans un marabout Toucouleur, Cheikh El Hadji Omar. (…) Etablit en 1848, entre les deux fleuves, à Dinguiray, il se transporta au Nord du Sénégal, dans le Kaarta, pillant nos traitants et proclamant même qu’il conduirait ses troupes à Saint-Louis» écrit Henri WALLON. Dans la guerre sainte qu’il prépare, El Hadji Omar commence d’abord par avoir un territoire, des munitions et une armée solide dirigée par Alpha Oumar Thierno Baïla WANE, de Kanel dans le Damga, un fidèle des fidèles du «Sultan des Saints», comme le surnomment les Fountankais. Alpha Oumar lui achète le fameux cheval surnommé «M’Bollou», à Bokar Yéro Mody de Galoya. Il recrute notamment Thierno Mollé du Bosséya, fait Moqaddem. El Ehadji se fait assister, pour le génie militaire, par Samba BATHILY dit Samba N’DIAYE, d’origine Soninké et ancien otage pendant vingt ans à Saint-Louis.

 

Dans son appel à la guerre sainte, El Hadji Omar fait appel au passé prestigieux des Foutankais, flattant ainsi leurs égos : «Les fils du Fouta sont tels que nos premiers ancêtres ; laborieux et forts, la fine fleur de l’humanité et des droits. Fils du Fouta, retournez à vos origines : le Jihad contre les ennemis d’Allah (…). Le Mont Sinaï est à votre berceau à cause du Jihad. Fils du Fouta soyez dignes de vos ancêtres» dit El Hadji Omar. Il est sans doute influencé par la guerre sainte, au Nigéria lancée par Ousmane DAN FODIO (1754-1817), sultan du Sokoto. El Hadj Omar voulait lancer la restauration et la réforme de l’Islam, en recourant au Jihad, et estimant qu’il est investi, dans cette mission, par le Seigneur, la rétribution étant le paradis. El Hadji Omar se fonde explicitement sur un mysticisme inspiré de la Tidianiya, mettant l’accent sur la mortification et l’observation rigoureuse de l’Islam, par une série de rites. La tradition orale soutient qu’El Hadji Omar, un Mahdi investi d’une mission divine, serait le continuateur de l’action de Mahomet (571-632) : «Auparavant, je n’avais été autorisé par Mahomet et Cheikh Ahmet Tidjane qu’à rallier les incroyants à l’Islam et à les guider sur la voie correcte (…) ; puis j’ai été chargé de lancer le Jihad. (…) L’autorisation m’en a été donnée par une voix divine qui m’a dit : «Tu as maintenant la permission de conduire le Jihad. Cela se passerait le 6 septembre 1852» affirme El Hadji Omar. Mamadou Aliou THIAM affirme que l’autorisation de faire le Jihad aurait été donnée, pendant le voyage à la Mecque, par Mohamed El GHALI : «Va balayer les pays ; c’est-à-dire va les nettoyer du paganisme. C’est là une mission de propagation de la foi par la guerre sainte» écrit THIAM. Mamadou Aïssata DIAKITE, petit-fils d’un Soninké disciple d’El Hadji, dans sa biographie, n’effleure que ce thème. «Le vieux monde africain, regénéré par la demi-civilisation musulmane, galvanisé par le fanatisme pressent que c’est par le fanatisme et par cette brèche de la vallée du Sénégal, que la race européenne, avec son cortège d’idées et d’institutions, pénétrera, avant peu, jusqu’au cœur de ce continent arriéré, il cherche à se défendre de cette invasion» écrit Louis FAIDHERBE. Naturellement, le colonisateur s’est évertué à démontrer que le Jihad est proscrit à notre époque : «Parmi les populations indigènes que nous avons eu à coloniser, il y a une ethnique qui n’acceptera jamais notre domination. Et il se trouve que cette ethnie est très répandue sur notre espace de colonisation. Il est urgent et impératif, pour notre présence en Afrique, de réussir à la diviser et leur opposer les autres ethnies moins rebelles. Car le jour où les Peuls se regrouperont, ils peuvent balayer sur leur passage toutes les forces coloniales» écrit FAIDHERBE.

 

A Dinguiraye, il prépare le Jihad (guerre sainte). Il acquiert une réputation de saint et rassemble de nombreux disciples qui formeront les cadres de son armée. Son armée, équipée d’armes légères européennes reçues de trafiquants britanniques de Sierra-Leone, s’attaque d’abord à Tamba, dont le chef mandingue avait une réputation de cruauté terrible ; on l’accusait de donner des captifs en pâture aux vautours sacrés de son village. Par ailleurs le roi de Tamba, outre l’armement d’El Hadji qui l’inquiétait, est mécontent de la conversion à l’islam d’un de ses sujets : Diély Moussa DIABAKATE.  El Hadji Omar inflige en même temps une sévère défaite à Labata, un village allié et à Bandiougou KEITA, un descendant de Soundiata venu soutenir Tamba, lors du siège de six mois. Cette victoire lui ouvre l’accès au cours supérieur du Bafing et contrôlant ainsi les voies des mines d’or du Haut-Falémé, du Bambouk et du Bouré. Quittant la Guinée, il laisse la direction de Dinguiraye à une de ses filles, Aguibou. De 1850 à 1857, il s’empare du Bambouk et du Kaarta. Il occupe, quelques années plus tard, le Nioro, alors capitale du royaume païen des peuples bambaras, fondant ainsi un empire s’étendant du Haut-Sénégal à la Gambie. Il occupe, sans difficulté, les territoires du Mandingue et du Bambouk en 1853, avec leurs mines d’or. Il campe près du poste de Sénoudebou, et fait connaître au gouverneur de Bakel son intention de rester en paix avec les Français et propose, avec de l’or, de leur acheter des fusils et canons. Le gouverneur du Sénégal, Auguste-Léopold PROTET (1808-1862) rejette cette offre. El Hadji Omar attaque alors Makhana, chef lieu du Kaméra, et fait décapiter tous les hommes. Faidherbe fait fortifier Bakel, ce qui dissuadera les incursions d’El Hadji Omar.

 

El Hadi Omar affronte les Bambaras Massassi dont il prend la capitale Nioro et Ségou entre 1854 et 1861. En 1856, il annexe le royaume bambara du Kaarta et réprime sévèrement les révoltes. Luttant contre l’armée coloniale française, il fait construire, une fortification, à Koniakary non loin de Kayes. El Hadji Omar est rejoint par Alpha Oumar Thierno Baïla WANE. «Rien dans le Soudan occidental ne pouvait plus résister à El Hadj ; ceux qui auraient voulu se défendre étaient à la tête d’esclaves trop démoralisés pour résister à des hommes libres et fanatiques» écrit Eugène MAGE.

 

En avril 1857, il déclare la guerre contre le royaume du Khasso et assiège le fort de Médine, point stratégique pour le contrôle des routes menant vers la Mauritanie, la Guinée, la Gambie et le Sud-Ouest du Sénégal. Jusqu’à Podor, tout commerce, pour le colonisateur français était devenu impossible. Des villages entiers du Fouta, du Boundou et du Dimat sont sous ses ordres. Faidherbe met en place un poste de défense en septembre 1855 à Médine, car Bakel, est en révolte. Le 20 avril 1857, El Hadji Omar TALL attaque Médine, défendu par Paul HOLLE, un mulâtre saint-Louisien, avec 7 Européens 22 Sénégalais et 36 matelots. Mais ces faibles troupes n’auraient pas suffi à repousser les 20 000 fantassins d’El Hadji Omar. La défaite d’El Hadj est due, en partie, à l’indiscipline de Hamat Kouro WANE dit «Hadé Wadda» (celui qui fait ce qu’on lui défend). L’absence du stratège militaire, Alpha Oumar Thierno Baïla, qui n’était pas de l’expédition, resté au commandement du Nioro et Kaarta, a pénalisé El Hadj Omar. Par ailleurs, en grand stratège, Faidherbe a rassemblé à Médine tous les éléments, issus du Logo et du Kasso, hostiles à El Hadj Omar. Le gouverneur du Sénégal a mobilisé au total 580 hommes, avec des fusils, munitions et des barils de poudre, ainsi que divers alliés africains à la botte du colonisateur, : Fara Penda M’BODJ, nommé chef du Oualo, Boubacar Sada du Boundou, Babacar Ould Souedi Amet, chef des Douaich, des Maures. Pour faire face au Jihad d’El Hadji Omar, Faidherbe va conclure divers traités de paix : le 20 mai 1858 avec le Trarza, le 10 juin 1858 avec les Maures Brakna, le 18 août 1858, avec l’Almamy du Boundou et les chefs du Bambouk, le 19 août 1858 avec les chefs du Guoy, le 18 avril 1859 avec le Toro, le 10 septembre 1859 avec le Damga, une province du Fouta, particulièrement rebelle.

 

C’était l’époque où la domination française commençait à s’affirmer sur tout le Sénégal. En 1857, les troupes de Faidherbe et celles d’El Hadj Omar s’affrontèrent à Médine, puis à Matam du 13 au 16 avril 1859. C’est en août 1860, à Bakel, qu’un traité de paix fut signé entre Thierno Moussa représentant d’El Hadji Omar et les Français dont l’autorité est reconnue sur la rive gauche du fleuve, et la rive droite restant sous influence d’El Hadji Omar. «Tout pillage, toute expédition de guerre cessera d’un côté, comme de l’autre. Les sujets de l’un des pays n’iront pas en armes dans l’autre pays. Le commerce se fera librement entre les deux pays ; nous vendrons à El Hadj tout ce qu’il nous demandera», points 4 et 5 du traité.

 

Entre 1859 et 1862, El Hadji Omar remporte ses conquêtes sur le Niger et brise la résistance des Diawara en installant les Toucouleurs sur le Kingui. Marcoïa est pris le 20 novembre 1859 et le 22 mai 1860, les Bambaras venus au secours des Diawara connaissent une défaite à N’Ganno. Niamina, ville commerçante du Niger est conquise le 25 mai 1860.

El Hadj Oumar TALL s’attaqua aux royaumes bambaras de Kaarta et de Ségou, dirigés par les Diarra. En entrant dans Ségou, le 10 mars 1861, «il prenait possession du palais et des trésors accumulés depuis des siècles par les divers rois qui s’étaient succédés dans ce pays. Les différents chefs captifs écrire par des marabouts de l’intérieur qu’ils voulaient se rendre à El Hadj. (…) Il imposait à tous de se raser la tête, de ne plus boire de liqueurs fermentées, de faire le Salam, de ne plus manger de chien, de chevaux, ni d’animaux morts de maladie ; il prenait des otages pour en faire des soldats», écrit Eugène MAGE. Les fétiches et temples païens sont détruits. En 1862, il confie Ségou à son fils Ahmadou, pour partir à la conquête d’Hamdallaye, capitale de l’Empire peul du Macina qui tombera le 16 mars 1862. Il est curieux de constater qu’El Hadji Omar ait fait la guerre contre Amadou Mo Amadou, petit-fils du fondateur du Macina, qui n’était pas un idolâtre, mais un musulman jugé hypocrite et non sincère : «il est notre petit-fils, son père est notre fils, et son grand-père est notre oncle et ami. (…) L’action est plus éloquente que la parole. Lorsque la parole et l’action divergent, prends en considération l’action» dit El Hadji Omar. En effet, Amadou Mo Amadou avait préconisé à El Hadj Omar de ne pas poursuivre Ali, le roi de Ségou en fuite qui cherchait à reprendre son trône «Si je t’ai demandé la paix, c’est que les gens de mon pays le désiraient ; Quant à moi, j’ai toujours souhaité me battre contre toi, si tu ne viens pas m’attaquer, je marcherai contre toi» dit Amadou Mo Amadou.  Après plusieurs échanges de lettres, El Hadji Omar finira par se défendre contre les attaques d’Amadou Mo Amadou, qui sera capturé après sa fuite et décapité le 15 mai 1862. Les trésors d’Amadou Mo Amadou entassés à Tombouctou furent récupérés. La vie d’Ali DIARRA, roi de Ségou est épargnée, mais il est mis aux fers.

 

Le 16 mai 1862, El Hadj Omar prend la capitale du Macina : Hamdallaye «Trois jours après son entrée à Hamdallaye, tout le Macina, chefs en tête, venait faire sa soumission au marabout, qui se trouve ainsi maître de la plus vaste étendue de territoire qu’un chef nègre n’eut jamais eu en son pouvoir. De Médine à Tombouctou, et de Trengela au Sahara, tout était soumis à sa loi» écrit Eugène MAGE. C’est dans le Macina qu’une révolte va bloquer El Hadji Omar. En effet, le Macina est vaincu, mais non soumis. Les Qadiri de Cheikh Bécaye complotent et pactisent avec la France. La conspiration entre les gens du Macina, les Bambaras et les Kounta de Tombouctou. Replié dans une grotte à Déguembéré, El Hadji Omar attend les secours de son neveu, Tidjani, qui arriveront, tardivement.

 

II – El Hadji Omar et son héritage contrasté

 

A - El Hadji Omar, l’échec et la dislocation de son empire théocratique

 

Jusqu’en 1864, la France n’avait aucune maîtrise du territoire appelé alors le Soudan ; son dernier poste militaire s’arrêtait à Bakel. En effet, l’autorité d’El Hadj Omar dépassait, de son vivant cette zone, elle couvrait le Fouta, le Boundou et une partie de la Guinée : «La rapide extension des Foulahs et leur domination politique dans une grande partie du Soudan, depuis la haute région où le Kouara (Djoliba ou Niger et le Sénégal ont leurs sources jusqu’au fort au-delà du Tchad ; cette extension est un des phénomènes historiques les plus remarquables des temps modernes» écrit J BELIN de LAUNAY dans l’introduction de l’ouvrage d’Eugène MAGE. Les colons ont été confrontés au pillage des maures à la résistance des anciens royaumes, et surtout au puissant empire mis en place par El Hadji Omar. Depuis la chute d’El Hadji Omar, la colonisation n’a cessé de remporter des victoires dans son entreprise de domination de l’Afrique. «L’histoire de la conquête, et surtout de l’occupation du cercle de Nioro est intimement lié à la destruction de l’empire toucouleur qui, lui-même comprenait la totalité du Soudan actuel» écrit le commandant de LARTIGUE. 

 

El Hadj Omar, de son vivant ne voulait pas assumer le pouvoir temporel ; il avait confié cette mission, à partir de 1860, à son fils, Ahmadou Cheikou, réformateur lettré et mystique, devenu le «Lamiddo Dioulbé», le commandeur des croyants, avec comme capitale Hamdallaye (Loué soit Dieu). Si Moustapha, un esclave gérant le Nioro a été sage, en revanche, les nouveaux impôts de Amadou Cheikou à Ségou ont mis le feu aux poudres. «A première vue, j’avais donné à Ahmadou dix-neuf ou vingt ans ; en réalité, il en avait trente ; il est plutôt grand et il est bien fait. Sa figure est très douce, son regard calme, il a l’air intelligent. Il bégaie un peu en parlant, il parle bas et très doucement. Il a l’œil grand, le profil du nez droit, les narines peu développées. (..)  Il est coiffé d’un bonnet bleu. (..) Il tenait à la main un chapelet, dont il défilait les graines en marmottant par les intervalles de la conversation. Devant lui, sur sa peau de chèvre, étaient posés un livre en arabe et des sandales ainsi que son sabre». écrit Eugène MAGE lors de son entrevue du 28 février 1864. «La théocratie fondée en 1818 au Macina par Cheikou Ahmadou ; à son apogée en 1830, elle s’étendait du Nord au Sud entre Tomboctou et Djenné et à l’Ouest, les rives du Bani et du Niger» écrit Robert CORNEVIN.

 

Les Français estiment que cette République islamique très vaste, menace leurs intérêts. Ils entreprirent alors de liquider toutes les personnes censées contrarier la colonisation. «Dans la campagne de 1891-1892, le colonel Archinard avait planté notre drapeau et porté un nouveau coup à la puissance toucouleur. La campagne de 1892-1893 avait un double but : détruire la puissance d’Ahmadou, qui tentait de reconstituer son empire dans le Macina et refouler Samory qui continuait à inquiéter la région Sud de la colonie» écrivent les Renseignements coloniaux de 1896. Dans son rapport, le colonel ARCHINARD précise ces menaces d’Ahmadou «Ahmadou, toujours hostile, profitant de ce qui lui restait de force et d’autorité, nous faisait attaquer dans le Nord de Sansading et à l’Est de Ségou. (…) Ma conviction s’est faite et que je regardais Ahmadou comme l’âme de toutes les révoltes contre nous. (…) Il fallait enlever à Ahmadou l’ombre du prestige dont il jouissait encore, et pour cela le chasser du dernier royaume créé par son père et le priver du concours des Toucouleurs que le fanatisme musulman, l’orgueil vis-à-vis des autres Noirs et la haine contre nous, tenaient encore groupés autour de lui» écrit le colonel Louis Archinard. En effet, Ahmadou avait entrepris de s’allier avec les forces de Samory TOURE. Ahmadou Cheikou, outre les Français, avaient de nombreux ennemis dont les Peuls du Macina, les Bambaras et une partie de sa famille contestait sa légitimité notamment à Ségou, le Bélédougou, le Mandingue et le Kaarta. En 1881, les Français s’installent à Kita. El Hadji Omar a tenté de réaliser l’unité africaine, s’il n’avait pas été arrêté dans sa progression vers le Niger. Au Fouta-Toro, le dernier Almamy, Ciré Baba Ly fut élu en 1880. Depuis 1877, le Fouta est morcelé avec le traité de Galoya. Et l’Almamy Babaly ne fut pas remplacé à sa mort, en 1890.

 

Les Français ont appliqué une vieille recette «Diviser pour mieux régner», en exploitant, au maximum, les dissensions au sein des héritiers d’El Hadj Omar, pour mieux liquider Ahmadou Cheikou, moins conciliant ; cela préfigure, peut-être ce qu’allait être la Françafrique : installer des hommes de paille en Afrique. Aussi, le colon s’est attaché la collaboration de Aguibou TALL, plus malléable et avide d’honneurs : «Aguibou n’avait hérité du fanatisme religieux de son père. Il semble bien qu’Aguibou ait assez faible caractère et que ses penchants de collectionneur l’aient rendu, plus que de raison, avide de cadeaux. Ce goût pour les présents le rendra docile aux arguments des commandants supérieurs du Soudan» écrit Yves SAINT-MARTIN. En effet, Aguibou avait d’abord hérité de la province autonome de Dinguiraye, une création de son père, à la conquête coloniale qui sera d’abord rattachée au Soudan, puis à la Guinée. «J’avais permis à Aguibou de recevoir tout le monde et d’accepter tous les témoignages d’attachement qui lui seront donnés» écrit Louis ARCHINARD (1850-1932). Il y avait un lourd contentieux entre Aguibou et Amadou Cheikhou. En effet, pendant qu’Ahmadou guerroyait dans le Kaarta, entre 1870 et 1874, Aguibou avait exercé la régence et géré le royaume en bon père de famille. A son retour, Ahmadou ne tint compte de cette bonne gestion, et remis Aguibou, brutalement, dans le rang. Il lui confisqua une partie de ses biens et de ses femmes, d’où le grand ressentiment d’Aguibou, qui se croyait d’ascendance plus noble que son demi-frère : «Mon frère, Ahmadou, m’a pris ma femme, Assa Coulibaly, avec seize autres femmes, deux captifs et mille gros d’or. C’est pour cette affaire entre Ahmadou et moi, que je suis passé au service des Français» écrit Aguibou dans une lettre de 1891 au colonel HUMBERT. Un parti se forma, tant à Dinguiraye, qu’à Ségou, pour demander l’accession d’Aguibou au pouvoir, mais Aguibou nommé à Dinguiraye, fut ainsi écarté, provisoirement, du centre de décision.

 

Aguibou décide, par le traité du 12 mars 1887, de placer Dinguiraye sous protectorat français, et devient un serviteur docile du colon. Le 6 avril 1890, Louis ARCHINARD prit la ville de Ségou à Madani qui alla se réfugier, chez son père à Nioro et dans le Kaarta. Ahmadou Cheikhou, confronté à des révoltes presque permanentes et des guerres de succession, se sentant menacé, sans se soumettre, Ahmadou émigra en 1893 à Sokoto, pour y répandre la Tidjianiyya, et il y meurt le 15 décembre 1897.

 

Louis ARCHINARD voulait, coûte que coûte briser la domination toucouleur et mis à la tête de Ségou de 1887 à 1892, Mari DIARRA, qui s’est révélé peu malléable ; il sera assassiné par les colons. En mars 1891, Sansanding est confié à Mademba DY (1842-1918), un ancien postier sénégalais et chef de la brigade télégraphique du Soudan. ARCHINARD exigea d’Aguibou une remise de la province autonome de Dinguiraye, comme tous les autres royaumes d’El Hadj Omar, annexés par la France. Aguibou s’exécuta, se déclara Français et prêt à se rendre partout où le gouverneur  lui dirait d’aller. Sous la menace des Sofas de Samory TOURE, Aguibou TALL ira, en 1892, se réfugier auprès de Louis ARCHINARD. Maky, le fils d’Aguibou, qui exerçait la régence à Dinguiraye est destitué et exilé à Kayes, en mars 1899 ; son cousin, Baba TALL est érigé, au rang, non pas de roi de Dinguiraye, mais de simple chef coutumier. Seule la Mosquée de Dinguiraye a résisté à la loi du temps. Le 4 mai 1893, ARCHINARD élève Aguibou TALL, au rang de «Fama», un roi fantoche du Macina, à Bandiagara, «en récompense de la fidélité et des bons sentiments témoignés par Aguibou à la France». Le 12 février 1903, la résidence de Bandiagara fut transformée en chef-lieu de cercle, un administrateur civil européen nommé, et Aguibou perd son statut de roi, pour devenir un simple chef coutumier. Ainsi, prit fin l’empire d’El Hadj Omar, et commença la collaboration de ses héritiers, dont El Hadj Saïdou Nourou TALL (1882-1980), avec l’occupant français.

 

B – El Hadji Omar et le fabuleux destin de la confrérie Tidjaniyya,

 

El Hadji Omar est le continuateur, en Afrique de l’Ouest, de l’action de Cheikh Ahmed Tidjani (1737-1815), originaire de Ain Mahdi, dans le Sud algérien et mort, à Fès, au Maroc. Ce mouvement de tajdîd ou «renouveau», fondé en 1781, se caractérise par le surgissement de figures, de réseaux, de structures, qui, par-delà leur diversité, ont en commun une forte démarche éducative, missionnaire et militante, et une révérence particulière à l’égard du Prophète, de son modèle et de son enseignement. C’est à la fois une continuité et un rupture avec le passé. El Hadji Omar a d’abord été initié au Tidjanisme par son maître Abdel Karim du Fouta-Djalon. Mais lors de son séjour à la Mecque, il rencontre Sidi Mohamed El GHALI qui le nomma Khalife général de la confrérie Tidjaniyya pour toute l’Afrique de l’Ouest.

 

Si l’empire toucouleur d’El Hadji Omar s’est disloqué à sa mort, en revanche, le destin et la survie du Tidjanisme sont exceptionnels. Ce message de rénovation des valeurs de l’Islam est plus que jamais vivace. Ainsi, Amat BA dit Maba Diakhou BA (1809-1867), du RIP, Almamy du Saloum et un descendant de Coly Tenguella BA, dont les ancêtres sont originaires de M’Bantou, près de Podor, rencontre El Hadj Omar en 1846, à Kabakoto. El Hadji Omar lui donne le Wird des Tidjanes et l’investit comme représentant de sa confrérie dans le Saloum. Il engage la guerre sainte en 1861 à la suite d’un différend avec le roi du Sine. Par son prestige, Maba Diakou BA installe dans le Nioro du Rip de nombreuses personnalités dont : Mame Mor Anta Sally M’Backé, père Cheikh Ahmadou Bamba M’Backé, fondateur du mouridisme ; et Mohamed NIASSE, aïeul de Cheikh Ibrahima NIASSE dit Baye NIASSE, installé à Taïba Niassène. Fodé Kaba DOUMBOYA (1818-1901), chef musulman diakhanké de Casamance. Maba Diakou BA offrira l’asile politique à Alboury N’DIAYE (1842-1898), bourba du Diolof, et à Lat-Dior DIOP (1842-1886), damel du Cayor, qui va se convertir à l’Islam, en 1864, son royaume étant resté longtemps animiste et esclavagiste. Un des héritages d’El Hadji Omar est donc l’islamisation massive des Ouolofs, dans la deuxième moitié du XIXème siècle, les grands marabouts étant peuls. En raison de son Jihad, une continuation de l’œuvre d’El Hadj Omar, il est déclaré ennemi n°1 par les colons et sera tué le 18 juillet 1867, à Somb, région de Fatick, dans une bataille contre Coumba N’Doffène DIOUF (1810-1871), le bourba du Sine. C’est la famille des NIASSE, à Kaolack qui donnera, en 1920, le Wird et le Maouloud à mon village, Danthiady et à Seddo, dans la région de Matam.

 

Continuateur de l’action d’El Hadji Omar TALL pour l’extension de la Tijaniyya au Sénégal, El Malik SY (1855-1922) n’a cessé, depuis son plus jeune âge, de s’affilier à ce mouvement religieux : «Qui rendra ma vie heureuse après la disparition de mon maître Omar ? J’ai perdu celui qui refusait l’injustice, celui qui avait l’habitude de faire périr ceux qui altéraient la religion et les païens» écrit El Hadj Malick SY. En effet, El Hadji Omar a élevé El Hadj Malick SY, avant sa naissance, lors de son retour à la Mecque, à Oré Fondé, par l’intermédiaire de son oncle maternel Alpha Mayoro WELLE, au rang de Khalife général des Tidjanes. En effet, par sa chaîne spirituelle, ainsi que par ses études, ses écrits et son pèlerinage, El Hadj Malick SY était devenu un des grands personnages de la vie religieuse au Sénégal. Cependant, contrairement à son mentor, El Hadji Malick SY s’il est resté adepte du tidjanisme, était un collaborateur de la colonisation, il avait condamné le Jihad. Pour Cheikh Moussa CAMARA, un spécialiste de l’histoire des grandes familles du Fouta-Toro, les ancêtres d’El Hadji Malick SY sont originaires du Boundou, des Almamy du clan de la famille SY.

 

Mamadou Lamine DRAME (1840-1887) est l’un des continuateurs de l’action d’El Hadj Omar. Il rêvait de rétablir l’empire d’El Hadj Omar, discrédité, selon lui, par ses successeurs, en recréant le Wagadou, un territoire historique des Soninkés répartis entre le Sénégal, le Niger, le Fouta-Djalon, la Gambie. Après sa victoire sur le Boundou, la France ayant senti le danger, le combattit ; il succombera de ses blessures après un affrontement avec les colons, le 9 décembre 1887.

 

EL Hadji Mamadou Saïdou BA (1900-1981) de Madina Gounasse et son Dakka réunit les adeptes du Tidjanisme, notamment du Sénégal, de la Côte-d’Ivoire, de la Gambie où vivent une partie des descendants de Maba BA, de la Guinée-Bissau, du Mali et de la Mauritanie.

 

Finalement, l’héritage d’El Hadji Omar concernant le Tidjanisme est encore le plus vivace. Les grands hommes ne naissent que quand ils meurent. En ce sens, El Hadji Omar a toujours refusé de mourir, il a su résister à l’oubli du temps. Dans son Qacida en Poular, Mohamadou Aliou THIAM raconte qu’au jour de la Résurrection, le Bélier (Cheikh Ahmed Tidjani), conduira El Hadj Omar et ses disciples devant le Prophète Mahomet qui les introduira au 7ème ciel où les attendent les délices. En attendant cette lointaine échéance, la France a rendu en 1994, au Sénégal, les archives de la famille d’El Hadj Omar TALL ; son sabre, ses sandales et son livre de Coran, confisqués par Louis ARCHINARD et rapatriés aux Invalides à Paris, sont désormais exposés, à Dakar, au Musée des civilisations noires, depuis le jeudi 6 décembre 2018. El Hadji Omar est donc, dans une certaine mesure, de retour parmi nous.

 

Bibliographie (Voir mon blog).

 

Paris, le 28 mars 2019, par Amadou Bal BA - http://baamadou.over-blog.fr/

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