SENTER : Le TER de Dakar sur les rails de la désillusion

SENTER : Le TER de Dakar sur les rails de la désillusion

Economie

Lancé comme un symbole du renouveau et de la modernité, le Train Express Régional (TER) de Dakar connaît, trois ans après son inauguration, une crise silencieuse mais profonde. Défaillances techniques, surcoûts massifs, baisse brutale de fréquentation et tensions sociales plongent ce projet phare dans une zone de turbulences qui interroge sa gouvernance.

Un projet ambitieux, mais une fréquentation en chute libre

C’était le fleuron de la politique d’infrastructures du Sénégal. En 2021, le président Macky Sall inaugurait la première phase du TER dans un climat d’euphorie. En 2023, plus de 41 millions de passagers étaient comptabilisés, preuve d’un engouement populaire.

Mais l’année 2024 marque un tournant brutal : la fréquentation chute à environ 22 millions, soit une perte de plus de 45 %. Les chiffres sont confirmés par plusieurs sources proches de la Société d’exploitation du TER (SETER) et par un rapport confidentiel de l’APIX, que nous avons pu consulter.

En cause, des incidents à répétition, une baisse de la fréquence des trains, des tarifs jugés inaccessibles par une grande partie de la population, et une interconnexion insuffisante avec les transports urbains. « Le TER est en train de perdre son public », confie sous anonymat un ancien cadre de la SETER. « On ne peut pas vendre un service premium dans un contexte de précarité sociale», analyse-t-il.

Dérives financières et opacité des comptes

Autre point noir : le coût réel du projet, aujourd’hui estimé à plus de 880 milliards de francs CFA. Un écart massif par rapport au budget initial de 568 milliards. En septembre 2024, un audit de l’Inspection générale d’État (IGE) soulève des anomalies financières, des dépenses non justifiées et un pilotage déficient des marchés publics.

L’Agence pour la promotion des investissements (APIX), maître d’ouvrage du projet, rejette la responsabilité sur les aléas techniques et les exigences des bailleurs. Mais pour de nombreux économistes, ce surcoût révèle surtout une mauvaise maîtrise du chantier et une absence de contrôle indépendant.

« Le TER est géré comme une boîte noire », tranche un analyste économique basé à Dakar. « Aucun détail précis sur les avenants aux contrats, aucun suivi citoyen. C’est un gouffre silencieux. »

Des populations sacrifiées : le scandale du recasement

Le projet TER n’a pas seulement coûté cher à l’État. Il a aussi bouleversé la vie de milliers de familles. Entre Dakar et Diamniadio, plus de 2 000 ménages ont été expropriés depuis 2017. En 2024, environ 600 d’entre eux n’avaient toujours pas été recasés, selon des ONG locales.

Malgré les engagements pris par l’État et ses partenaires financiers – notamment la Banque africaine de développement – aucun site de relogement durable n’a vu le jour pour ces familles. Pire, certaines habitent encore dans des logements précaires situés à proximité immédiate des rails, exposées à des nuisances sonores et des risques sanitaires.

Dans une lettre ouverte transmise en février 2025, un collectif d’expropriés accuse l’APIX de « promesses non tenues et mépris institutionnel ». Contactée, l’agence n’a pas donné suite.

Sécurité défaillante, maintenance incertaine

L’année 2025 a été marquée par plusieurs incidents graves. Le 30 mai, un TER est immobilisé en pleine voie près de Diamniadio, sans ventilation ni secours, pendant plus d’une heure. Des passagers évacués dans le noir, des malaises, aucune communication officielle sur les causes exactes. Ce n’est qu’après plusieurs jours que la SETER reconnaît un « défaut d’alimentation électrique ».

Moins d’un mois plus tard, en juin, deux actes de vandalisme sur des installations de signalisation provoquent une paralysie temporaire du trafic. Selon une source sécuritaire, ces sabotages auraient pu être évités par un meilleur système de vidéosurveillance. « Le TER est vulnérable, et tout le monde le sait. »

Phases 2 bloquée, avenir incertain

La seconde phase du projet, censée relier Diamniadio à l’Aéroport international Blaise-Diagne (AIBD), est aujourd’hui à l’arrêt. Le contrat avec le constructeur français Equans est suspendu, faute de mobilisation financière. Aucun calendrier n’a été confirmé depuis début 2025.

Ce retard compromet sérieusement la rentabilité globale du projet. « Sans la connexion à l’aéroport, on limite le potentiel du TER », estime un consultant en mobilité urbaine. « On a mis la charrue avant les bœufs. »

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